LA CITÉ SANS NOM :
Allocution d'Evelyne Koenig à l'occasion de la remise du prix 2017 de la SEALB
Société des écrivains d'Alsace Lorraine et du territoire de Belfort.
le 15 octobre 2017 à l'hôtel Hilton Strasbourg
Le Comité a primé cette année,
un ouvrage destiné à la jeune génération. Une première pour notre prix. Malgré
quelques virgules que les puristes jugeront peut-être mal placées, les qualités
de ce récit nous entraînent dans un fabuleux voyage. Raymond ISS, vous êtes un
conteur.
Géographe de formation, après
deux ans à l’Institut Régional d’Administration, vous vous mettez à écrire. Né
à Metz, vous vivez aujourd’hui à Nancy. La Lorraine est à l’honneur.
À partir de 1985, vos textes
commencent à être connus. Vos nouvelles de science-fiction et de fantastique,
publiées d’abord au Québec, en Belgique et même en Roumanie, le sont enfin en
France. Vous découvrez la civilisation chinoise par vos lectures qui, associées
à vos pratiques de l’imaginaire, donnent en 2009 un roman d’aventure : « L’Ile
aux Immortels ».Avec « Le Grand jeu » en 2013,
vous explorez les mondes parallèles.
Suivront d’autres romans dont «
Les Roses ont menti », souvenirs d’enfance qui vous font écrire avec raison,
que « ceux qu’on aime emportent toujours en s’en allant quelque chose de vos
rêves et des promesses qu’ils vous avaient faites ».
En ce printemps 2017 paraît «
La cité sans nom », ouvrage destiné selon vous à des adolescents dès 13 ans,
dont le titre pourrait être un clin d’oeil à Howard LOVECRAFT pour sa nouvelle
éponyme, parue en 1921, et pour lequel vous obtenez notre prix aujourd’hui.
Sachez, Monsieur, que lors de
notre choix, le débat fut passionné et passionnant.
Votre roman m’a rappelé celui
de Pierre BOULLE, publié en 1963. Du film « La Planète des Singes », pour ceux
qui l’auront vu, restera le dénouement, lorsque Charlton Heston découvre sur
une plage abandonnée la tête de la Statue de la Liberté, et comprend… À la fin
de votre récit, nous aussi, nous savons…
Vous nous avez montré que
l’histoire se répète toujours à travers les âges et que même s’ils sont des
survivants, certains humains restent et demeurent des prédateurs. D’autres
choisissent la renaissance et la reconstruction, l’espoir et la foi dans
l’humanité. Cet antagonisme représente la richesse de votre ouvrage.
Monsieur ISS, la première fois
que j’ai lu votre roman, je ne savais pas encore qu’il était destiné à la
jeunesse. Il faut croire que j’ai gardé mon âme d’adolescente, car j’ai été
emportée par votre histoire.
Ordrec, un jeune berger vit
dans un monde post-apocalyptique. On ne sait pas quand… et d’après le titre de
votre livre, on ne sait pas où. Lorsqu’il revient avec ses bêtes dans son
village barricadé, ayant échappé à une chute dans un puits sombre, il a
confirmation de l’existence de Ceux-d’en-Dessous. Son peuple vit dans la
lumière, mais les hommes-noirs qui hantent les souterrains appartiennent à
l’obscurité.
La crainte des adultes envers
ce monde de ténèbres et les Méthros « créatures répugnantes et féroces »
qui y vivent est justifiée par l’enlèvement brutal du jeune garçon. Il est
malmené et fait prisonnier par des brutes, assassins sans foi ni loi, qui se
partagent les territoires du dessous. Profitant d’une occasion inespérée,
Ordrec parvient à s’enfuir et se retrouve dans un endroit de la ville qu’il
n’avait jamais exploré. Il fait la connaissance de Stella et de sa mère et un
autre univers s’ouvre à lui.
Son peuple a pour habitude de
brûler les « grandes feuilles » qui se trouvent en quantité dans les
ruines de la cité, mais ses nouvelles amies, elles, ne brûlent pas ces
feuilles. La mère de la jeune fille lui explique qu’elles proviennent des
Ancêtres et qu’elle essaie de les déchiffrer pour comprendre leur propre
histoire. D’après un vieillard érudit, ceux-ci se seraient mis à « l’abri du
feu du soleil » en se réfugiant
sous la terre pendant un temps infini, si long, qu’ils avaient oublié jusqu’au
nom de leur cité. Un soir, Ordrec rencontre un voyageur, un errant. Celui-ci
lui raconte son épopée et la découverte d’une île verte, sorte d’Atlantide
perdue au milieu de la mer où vivent d’autres humains, portant des capuchons
noirs et gris et tentant eux aussi, de déchiffrer ces feuilles qu’ils nomment
des « bouques ». Dans cette contrée aux règles de vie disciplinée,
l’homme décrit un lieu où les tâches sont partagées. Une partie des habitants
travaillent pour nourrir l’autre partie, qui elle se consacre au décryptage des
« volumes aux pattes de mouche ». Tout semble paisible, raconte-t-il,
mais lors de « la nuit de l’Encloué », les hommes participent à un
rituel terrifiant. Craignant pour sa vie au point de s’enfuir, il parvient à
retrouver « l’embouchure du Grand Fleuve ». Terminant son récit
l’étranger conseille à Ordrec de retourner au plus vite dans son « village
des Bords du Fleuve » auprès des siens. Ce qu’il fait. Accueilli dans la
joie et retrouvant sa famille, il tente de les avertir d’un danger, car,
pendant son séjour sous la terre, il avait entendu les hommes noirs ourdir
un plan pour attaquer Ceux du Dessus. Malgré ses mises en garde, le Conseil des
anciens ne voulut rien entendre et ce n’est qu’après une première agression
qu’ils décidèrent de considérer Ordrec comme leur chef.
« Nous
vivons des temps nouveaux et l’ordre des choses ne tient plus. Les hommes de la
nuit ne craignent plus le jour, et les enfants sont plus sages que leurs
parents » p.97. De batailles en affrontements, il y eut de nombreux morts
dans les deux camps et lors d’une ultime attaque, ils ne durent leur salut qu’à
l’arrivée d’un animal gigantesque guidé par un protecteur inattendu.
La paix
revenue, Ordrec n’oubliera pas les « feuilles » des Ancêtres et
cherchera à déchiffrer les signes du savoir perdu.
Tout au long
de votre roman, Monsieur ISS, il y a de nombreux indices qui nous permettent,
petit à petit, d’avoir une idée de plus en plus précise du nom de la Cité. Puis
au terme de l’aventure, d’une manière poétique, nous savons où nous nous
trouvons grâce à « un large escalier gardé par une géante sans tête,
projetant l’ombre démesurée de ses deux ailes de pierre, dans le Palais du Bord
de l’Eau » où « la belle dame, protégée par une épaisse plaque de verre,
avait défié le temps… »
J’ai pris
grand plaisir à relire votre roman une seconde fois sachant à l’avance où se
trouvait votre cité sans nom. Ma relecture fut jubilatoire et je me suis amusée
à rechercher les endroits que vous décriviez.
Partant de la
« Place des Piliers » tout en traversant les « Champs-du-Haut »
avec leur « Grande Voie » jusqu’à « la niche encadrée de quatre colonnes
» et gardée par « deux animaux fantastiques », en passant par la « Halle
aux pigeons », j’ai revisité cette Célèbre Ville.
Mais je ne
suis pas arrivée à situer l’île verte, j’hésite entre le Québec et le
Finistère, l’une très loin, l’autre trop proche. Merci d’éclairer ma lanterne…
J’ai également
été amusée par votre sens de l’humour : il fallait oser appeler le Christ, « l’Encloué
» qui, sur ses « deux barres entrecroisées », trône partout dans le
« Champ des Morts » et ailleurs.
Quant aux
galettes, Frère Kolac avait bien raison : tout est sur les galettes.
Selon Horace,
« Les paroles s’envolent… les écrits restent »…
Vos « petits
signes noirs » sont pour nous écrivains, la transmission d’une histoire, d’une
vie, d’une humanité. Ils resteront toujours le symbole de ce pourquoi le prix
de la SEALB existe.
Félicitations
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