La recherche généalogique est
un étrange voyage dans le temps où des gens meurent, ont ensuite des
enfants, se marient pour naître enfin. L’immersion prolongée dans
les registres d’état civil permet à l’imagination de suppléer
à leur sécheresse administrative. A travers l’énoncé des professions,
la déclaration d'un enfant mort-né, les remariages, le témoin présent
à tous les mariages, se dessine la vie sociale d’un village. L’histoire,
celle qui s’écrit avec un grand " H " pointe
rarement le bout de l’oreille. Sauf lorsque le registre des décès,
vous gifle en rafale de centaines de noms : les soldats de la Grande
Armée venue s’échouer à Phalsbourg en 1813.
Ils étaient journaliers, ouvriers
verriers, carriers, vanniers. Des générations de paysans, l’état
civil précise fièrement " propriétaire ", d’où
s’échappe un jour un instituteur.
A Bronvaux, près de Metz, il
s'agissait surtout de vignerons. On a peine à imaginer des rangs de
vignes à la place des cités ouvrières alignées dans un paysage où à
présent, les usines elles aussi ont disparu !
Et les femmes ? Elles font
des enfants, beaucoup, sont souvent couturières mais revendiquent parfois
pour elles-mêmes l’état de vigneronne !
Ils n’ont pas beaucoup
bougé de leur village, près de Sarreguemines ou de Sarrebourg. On attend
en vain l'arrivée d'un étranger pour transfuser un peu de sang neuf
à ces lignées où les noms se répètent et se croisent. A peine si l’on
note l’apparition d’un trisaïeul venu de Prusse à la fin du
dix huitième siècle.
Quand on se rapproche du vingtième
siècle, des photographies mettent enfin des visages sur les noms. Les
coiffures, les moustaches, les costumes suffisent à les dater. Les uniformes
nous replongent dans une histoire où la Moselle était allemande. C’est
aussi le temps des lignées interrompues, quelque part à l’est ou
tout près de chez soi à la bataille de Sarrebourg en août 1914.
Il faudra pratiquement attendre
la seconde moitié du vingtième siècle pour voir enfin les familles se
disperser dans toute la France et même plus loin puisque j’ai des
cousins en Colombie !
Avec toutefois une exception.
Nous imaginons tous volontiers avoir une tante en Amérique. La mienne s’appelait Barbara Muller. Elle
est partie là-bas en 1911 avec ses trois enfants : Pierre, Anna
et Marie. Et depuis ? Plus aucune nouvelle depuis la fin des années
quarante. Il ne restait que quelques photos, et des lettres.
On envoyait des colis, des vêtements
chauds aux cousins de France dont le village venait d’être rasé...
par les Américains ! On se félicitait que Johnny soit trop jeune
pour la guerre. Le fils de Marie s’est arrêté à Hawaï, en partance
pour le Japon. Anna écrit tout cela, en allemand bien sûr, derrière
le comptoir de son restaurant à Creek-Locks. Ils avaient pourtant gardé
leur instinct grégaire ces cousins d’Amérique. A partir d’adresses
vieilles de près d’un demi-siècle et grâce au minitel, j'ai réussi
à retrouver sa petite fille, la fille de Johnny.
Le fil était renoué, elle m’a
répondu en me promettant des nouvelles de là-bas. Mais hélas, rien n’a
suivi. Mes lettres de rappel sont revenues avec la mention " returned
to sender " et son nom a disparu de l’annuaire. Qu’êtes
vous devenue Eileen Maschino de Kingston ? Avez-vous quitté l’état
de New-York sans laisser d’adresse, et pourquoi ce silence et
ce lien à nouveau rompu ?